Les pages littéraires de Sylvie Bérard

Science-fiction, littérature, écriture

Mois : juillet, 2012

Quel chapeau porter aujourd’hui?

Ceux et celles qui me connaissent, savent que j’ai deux carrières. Je ne les qualifierais pas de parallèles, parce qu’elles se croisent et se répondent souvent, mais en tout cas il s’agit de deux occupations distinctes, deux chapeaux que j’enfile tour à tour et parfois un sur l’autre: l’enseignement et la recherche d’une part, l’écriture d’autre part.

En ce moment, je suis un peu déchirée entre les deux. Il y a ce roman de science-fiction que j’ai en tête depuis un certain temps, pour lequel j’ai fait certaines recherches dont certaines m’ont menée quelque part dans la région d’Amiens durant mon récent séjour en France (je n’en dis pas plus), et que j’ai commencé à écrire par bribes. L’écriture a été retardée par l’année folle que j’ai eue à l’université, occupée par l’enseignement, la direction du département, et par toutes les exigences administratives dont le milieu universitaire a le secret. Et il y a cet essai qui me trotte dans la tête depuis plusieurs années, pour lequel j’ai accumulé des dizaines et des dizaines de pages, et qu’il ne me reste plus qu’à rassembler en un tout cohérent. Lui aussi a été retardé par l’année que je viens de passer.

Les deux projets me tiennent à coeur. Les deux reposent, à leur manière, sur l’écriture et les deux me stimulent. Les deux ont un rapport étroit avec la science-fiction. Lequel gagnera?

Jusqu’ici, ce n’est ni l’un, ni l’autre qui l’a emporté, mais le reste du boulot qu’il y avait à faire. Et l’été est si court!

Texte souvenir: Commise à voyager

Je reproduis ici un petit texte texte paru à l’origine dans L’autre forum. Le journal des professeurs et professeures de l’Université de Montréal, vol. 9, numéro 2  (février 2005), p. 6.

 

J’voyage beaucoup, mais j’circule pas.
–Clémence DesRochers, Le beau voyage

« Adopt a Highway » peut-on lire en bordure de certains tronçons de l’autoroute 401 qui traverse l’Ontario d’est en ouest. Eh bien, je l’ai fait. Les papiers n’ont jamais été officiellement signés, mais je peux dire que j’ai fait cette autoroute mienne. Bon gré, mal gré. Je la connais par cœur. Je la déteste les jours de mauvais temps, je l’accepte comme un mal nécessaire la plupart du temps. J’y ai passé des nuits entières à attendre que la neige cesse, j’y ai roulé plus vite que nécessaire, j’en ai visité tous les Tim Horton’s, j’en ai boycotté tous les MacDonald’s, j’ai comparé le prix de l’essence de toutes ses station-service. Ma voiture en sait tous les méandres. Je suis professeure d’université et je mène la vie d’une commis-voyageuse.

Les circonstances ont fait que je n’ai jamais enseigné ailleurs que loin de chez moi. Et, les premières fois, jamais assez longtemps pour m’y faire un nouveau chez-moi. Mon métier de prof a toujours représenté pour moi un déchirement entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle, celle que je laissais derrière et que je ne retrouvais que sporadiquement. J’ai écrit et révisé dans ma tête des kilomètres d’articles, j’ai préparé mentalement des heures et des heures de cours tout en perfectionnant mon art de la conduite automobile.

Maintenant, j’ai fini par me déposer. Et pour être bien certaine de rester en place un certain temps, je me suis coulé les pieds dans une hypothèque. Mais je garde deux maisons et une vie coupée en deux par le calendrier universitaire. Il y a la vie que j’ai ici – là-bas –, une vie surtout professionnelle, bien que passer trois ans dans une ville, cela tisse forcément des liens. Et puis il y a la vie que je laisse là-bas – ici – chaque fois que je pars, une vie de couple et une vie familiale. Sans oublier la vie suspendue des dix heures de route que je me tape aller-retour pour unir la première à la seconde.

Je ne suis pas la seule à mener cette double vie. J’en connais qui sont partis beaucoup plus loin pour faire ce qu’ils savaient faire le mieux au monde, et notre université compte plusieurs universitaires venus des antipodes. Dans notre petit département de neuf professeurs*, nous sommes trois à avoir, comme moi, deux lieux de résidence. Pourquoi s’en étonner? Nous évoluons dans de bien petites sphères et les universités et les postes correspondant à notre champ de spécialisation ne courent pas les rues. Alors c’est nous qui courons les chemins.

* NB: C’était le cas en 2005; ça ne l’est plus.