Les pages littéraires de Sylvie Bérard

Science-fiction, littérature, écriture

Mois : juin, 2012

Deux fois ne sont pas coutume

Voici une autre contribution sur le conflit social actuel au Québec, suscitée par un témoignage que je viens de lire sur Internet: Eille toué l’ingénieur, touche à rien!: La génération X et le conflit social.

À la veille de m’en aller à mes retrouvailles d’école secondaire (je suis moi aussi de la génération X, celle de la première mouture, mais, moi, ça fait 30 ans que j’ai fini le secondaire, et ce n’était pas une polyvalente mais un collège privé, pour pensionnaires de surcroît, oui, un établissement pour gosses de riches auquel mes parents de classe moyenne avaient décidé de m’inscrire, le fait que j’étais enfant unique ayant favorisé la chose), je retrouve beaucoup d’éléments connus dans ce texte, quoique mon expérience soit toute autre. Il dit que notre génération n’a rien fait et est restée sur son «jambon», dans le temps, dans les années quatre-vingts, lorsque les frais de scolarité ont commencé à dégeler.

Pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça ? Comme vous je vois l’actualité. Beaucoup de gens de ma génération, de leur petit confort chèrement acquis regardent ce qui se passe et ont succombé à l’argumentaire du Journal de Montréal et autres et je me dis: «Non». Les gens dans la rue ne font que ce que nous n’avons pas eu le courage de faire. Quelque chose qui aurait du être fait depuis longtemps, se battre pour rendre les études supérieures à tous, peu importe leur origine, c’est ça – me faisait remarque mon ami Patrick –le deal au Québec aussi depuis 50 ans. (Yanick Vaillancourt)

Ce n’est pas exact. Certains l’ont fait, ont protesté haut et fort, j’en étais, et je suis infiniment convaincue que nous avons réussi à ralentir la tendance, durant un certain temps du moins. Sauf que, à l’époque, nous étions en très petit nombre dans la rue, plusieurs membres de notre génération et encore plus la génération des baby-boomers étant restés, eux, confortablement effouarés sur leur steak (oui, André Pratte était déjà celui qu’il est à présent). Même que j’étais étonnée que tout le monde ne soit pas déjà dans la rue pour des enjeux aussi importants. Même que je me suis souvent fait crier par la tête, par des étudiants-de ma génération «va don finir ton bac au lieu de manifester» et je leur répondais que le mien était terminé, que j’étais à la maîtrise, et que c’est pour les autres qui me suivraient que je militais.

C’est peut-être la raison pour laquelle, d’ailleurs, plusieurs de ma génération donnent à cette jeune génération son appui — un appui qu’elle n’a jamais eu.

Je ne comprends pas

Pour ceux et celles qui se demanderaient… Je fais référence à l’événement décrit ici.

Je ne comprends pas…

En tant qu’écrivaine de science-fiction, j’ai bien sûr des modèles qui m’inspirent. Ray Bradbury, qui est décédé hier, et ses Chroniques martiennes, ont bien sûr inspiré ma propre version des chroniques marSiennes que j’ai déployée dans Terre des Autres. De manière plus large, il y a plein d’auteures avec un E et d’auteures et d’auteurs québécois qui m’ont inspirée à écrire de la science-fiction et à consentir à me placer ainsi dans une situation de double exiguïté (voire triple et quadruple, mais ce sera peut-être l’objet d’une autre chronique, un jour).

Si j’étais peintre, ce serait pareil. J’aurais mes sources d’inspiration, mes mentors spirituels. Je pourrais m’inspirer de Van Gogh, qui a vécu son art jusqu’au bout, jusqu’à la folie, ou alors de Léonard de Vinci, grand homme de son temps, qui érigeait l’art au statut de science, et vice versa. Ou je m’inspirerais de modèles plus près de moi, de Riopelle, par exemple, dont l’Hommage à Rosa Luxembourg est un orgasme pour tous les sens et dans plusieurs sens.

Si j’étais cinéaste, j’aimerais avoir réalisé Mort à Venise de Luchino Visconti ou Mon oncle Antoine de Claude Jutra, et cela me serait probablement des inspirations secrètes, quoique, me connaissant, mes œuvres auraient plutôt l’air inspirées de certains films de Terry Gilliam ou de David Cronenberg, et le seraient aussi! Et le talent précoce et la belle énergie de Xavier Dolan seraient également une source d’émulation positive.

Si j’étais musicienne… Mais vous comprenez le principe.

Tout ça pour dire : Amir Khadir. Amir Khadir sur qui on tombe à bras raccourcis sur différentes tribunes parce que, à propos de son geste de désobéissance civile du 5 juin, il a osé révéler qu’il avait des modèles. Et pas les moindres: «Je fais ce que Martin Luther King aurait fait, ce que Gandhi aurait fait», a-t-il déclaré. «Je ne me compare pas, mais c’est nos modèles.» Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, il y a pire comme mentors. Et c’est certainement plus courageux que de faire comme une certaine députée d’un autre parti qui, ce soir-là, manifestait aux côtés d’Amir Khadir, mais qui a jeté la casserole et s’est éloignée sur la pointe des pieds dès qu’il y a eu signe de perturbations.

Pourquoi un politicien ne se réclamerait-il pas de grands personnages politiques? Cela semble logique, non? Personnellement, ça me rassure que nos hommes et nos femmes politiques aient un sens suffisamment aigu de l’histoire pour comprendre que d’autres, et de belles et grandes figures, sont venus avant eux et que le monde ne s’arrêtera pas non plus avec eux et elles. Et je dois avouer que les figures de Martin Luther King et de Gandhi m’inspirent confiance. Elles me rassurent pas mal plus que celle d’Hitler dont se réclame Bernie Ecclestone, le PDG de la Formule 1 pour qui l’argent l’emporte sur les idées, et qui préférera toujours sans doute rester dans son enclos plutôt que de se lancer dans l’arène politique. Et, en rapport avec l’histoire d’Amir Khadir, elles me réjouissent franchement pas mal plus aussi que celle du caquiste François Legault qui cache son manque de vision derrière les procédures lorsqu’il déclare «Si M. Khadir estime avoir été traité injustement, il portera plainte».

«Croire en quelque chose et ne pas le vivre, c’est malhonnête.»
—Gandhi

«Celui qui accepte le mal sans lutter contre lui coopère avec lui.»
—Martin Luther King

«Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s’agit d’arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète.»
—Arthur Rimbaud