Les pages littéraires de Sylvie Bérard

Science-fiction, littérature, écriture

Catégorie: Actualité

Comme il se doit

UOF

Cette semaine, Ellie Bothwell, une journaliste de Times Higher Education, a communiqué avec moi pour savoir ce que je pensais des difficultés de l’Université de l’Ontario français pour sa première année d’existence.

L’article, publié ce matin, se trouve ici.

La réponse que je lui ai envoyée était plus longue que ce qu’elle en a cité, bien sûr, alors j’ai pensé la partager en entier (et en anglais) ici:

I was disappointed to learn about the low enrolment at the Université de l’Ontario français for its first year of existence, but at the same time I was not completely surprised given the conditions under which the UOF was opening. I was also aware (as everybody should be) of the challenges of opening a new university: how often is it that a public university is started from scratch, i.e., not from a college or technical institute in Canada?

I fully support the idea of having a Francophone university in Ontario. The province manages to offer postsecondary education in French through its network of bilingual institutions, but at the 2013-2014 États généraux sur le postsecondaire en Ontario français, the need for a Francophone governance of postsecondary education was emphasized. After all, the Francophone province next door with an Anglophone population of 600 000 to 1.06M (depending on how it is calculated) had 3 English-language universities serving a total of 78 000 students while Ontario, with a French-speaking population of 528 000 to 1,49M (again, depending on how you count) has none. But beyond the symbol, there is a real need to provide French-speaking students with a selection of good postsecondary programs – which would also be consistent with the French-language secondary education in the province and the demand from the population and the job market.

The Université de l’Ontario français is not the perfect project that everybody was awaiting but it is a sensible compromise and a good step in the right direction. Beside the fact that the university launched its first registration process in the midst of a pandemic, the conditions were already harsh enough since the university had to manœuvre between the established bilingual universities that were already offering French-language programs. There is a certain number of programs that the UOF could  not offer, to prevent any overlap with other institutions. If, as planned, it could launch education programs, I suspect the picture would change dramatically. In any case, this first year of registration should not suffice to define the sustainability of the whole project.

I know that some concerns were expressed about the federal and provincial governments spending  money on this new institution at a time when existing universities were struggling financially during the pandemic, but I think this is considering the issue from the wrong angle. The need for French-language postsecondary education is, to use a popular expression right now, a pre-existing condition in Ontario. It dates back from long before 2020 and will still prevail after the pandemic. Also, if the creation of a Francophone university in the province really represents a threat for the other universities, then the problem is not the UOF but the whole university system in Ontario that forces the institution to compete against each other like businesses (because getting more students means getting more money) instead of focusing on what they do the best: providing a good postsecondary education. But this is a whole debate in itself, is it?

Ma plus récente nouvelle de sf

Le 17 septembre 2020, n‘était pas lancée (pour des raisons évidentes de covid19) l’anthologie Futurs (disponible en librairie), publiée sous la direction de Mathieu Villeneuve et à laquelle j’ai eu le plaisir de participer. Depuis, l’anthologie fait son petit bonhomme de chemin et reçoit en fait un accueil des plus réjouissants (les collectifs passent parfois inaperçus). L’ouvrage réunit dix nouvelles de science-fiction. Le projet est simple: « Futurs propose justement d’explorer ce que l’avenir, pluriel et changeant, nous réserve. » Les auteur·trice·s ont relevé le défi à leur manière personnelle, mais comme j’ai collaboré au livre, je vais me garder une petite réserve. Je ne le commenterai pas et vous laisserai le découvrir. Voici néanmoins ce qu’en disait une critique du 16 octobre:

Avec ses nombreuses nouvelles, Futurs est un livre qui se consomme avec modération (ou non). Considérant que les textes varient en longueur, le lectorat n’a pas l’opportunité de s’ennuyer. Les autrices et les auteurs du recueil ont réussi avec brio à composer des histoires qui, par leur étrange proximité avec la réalité, captivent complètement leur auditoire. Chacune des nouvelles, sans exception, est porteuse de questionnements qui méritent que l’on s’y attarde. Pour ce qui est de la qualité de l’écriture, les autrices et les auteurs, par leur diversité et par leur prouesse stylistique, ont réussi à tenir le lectorat en haleine jusqu’aux toutes dernières pages.

Laura Lafrance, Zone Campus

Et voici comment le livre était présenté dans Le Devoir du weekend dernier:

Paru chez Triptyque, dans la collection Satellite, Futurs permet à dix nouvellistes d’explorer ce que l’avenir nous réserve. Le directeur, Mathieu Villeneuve, rappelle que les auteurs de science-fiction affectionnent depuis longtemps la forme brève : « Cela s’explique peut-être par la grande liberté du genre. En quelques milliers de mots, il est possible de voyager dans le temps et dans l’espace, de remettre en question l’histoire et l’avenir, de désamorcer nos préjugés. La science-fiction n’est pas un genre mineur : c’est le genre de l’avenir ! Dans ce collectif, il y a une diversité de genres, d’orientations sexuelles, d’origines et de générations. J’ai aussi mêlé des auteurs connus à d’autres qui méritent de l’être davantage. » 

Christian Saint-Pierre, Le Devoir

Futurs faisait aussi partie des coups de cœur du 16 octobre des journalistes du Métro.

De quoi demain sera-t-il fait? Sous la direction du romancier québécois Mathieu Villeneuve, des autrices et auteurs nous proposent de répondre à cette question avec 10 nouvelles réunies dans le recueil Futurs. On navigue ainsi entre différentes visions de l’avenir, racontées par le prisme de la science-fiction, du fantastique et même parfois de l’horreur. Réalité virtuelle, manipulation génétique, rapport à la mort… En anticipant le futur, ces auteurs nous permettent d’ores et déjà de questionner le présent.

Elena Broch, Le Métro

La croisée des mots

Regardez la Croisée des mots avec Sylvie Bérard!

Si vous avez manqué La croisée des mots du 14 octobre, organisée par l’AAOF-Association des auteures et auteures de l’Ontario français et animée par Hugues Beaudoin Dumouchel en direct sur Facebook, vous pouvez vous rattraper! (Si le lien ne fonctionne pas directement, cliquez ici.)

Permissions, interdictions, injonctions

Photo modifiée d’une femme portant un masque jetable

Permettez-moi de prendre un grand détour.

Quand j’habitais à Kingston, à la fin des années quatre-vingt-dix, je louais, au cœur de celle-ci, un appartement dans l’une des plus anciennes tour d’habitation de la ville. J’habitais au quatrième étage et, en face de chez moi, il y avait un bar au-dessus d’une chaîne de restauration rapide (certaines personnes qui connaissent Kingston reconnaîtront l’endroit), de sorte que j’avais une bonne vue sur ce qui s’y passait. Tous les vendredis et samedis soir, je voyais y défiler une clientèle très jeune, à peine en âge de le fréquenter. Toutes les fins de semaine, en ressortaient des jeunes qui avaient bu jusqu’à s’en faire vomir, à s’effondrer dans la ruelle, ou à se battre en pleine rue. Toutes les fins de semaine, la police devait venir contrôler les sorties du bar pour empêcher que la situation dégénère.

J’avais l’impression alors de voir les effets d’une politique restrictive, qui avait serré très fort la valve jusqu’au moment de l’ouvrir à fond; une politique qui démonisait une pratique pour tout à coup l’autoriser. Je peux me tromper, mais il me semble que je voyais ados qui n’avaient pas compris ou à qui on n’avait pas expliqué que ce n’est pas parce que la loi nous dit qu’on peut le faire qu’on doit absolument le faire, ni qu’on est obligé·e de le faire jusqu’à s’en rendre malade. En tout cas, je voyais ce qui se passe quand, du jour au lendemain, un interdit ne l’est soudain plus et invite à tous les excès.

Nos sociétés prohibent généralement les actes criminels ou jugés dangereux pour soi et autrui, mais permettent un certain nombre de choses qu’elles ne nous enjoignent pas nécessairement de perpétrer. On nous autorise à boire à un certain âge, mais on ne nous flanque pas un entonnoir dans la gorge. On nous permet de conduire à un certain moment, mais on ne nous attache pas derrière un volant en nous ordonnant de rouler jusqu’à la ville voisine. La loi dit qu’on peut filer à 100 km/h sur l’autoroute, ce qui ne nous y oblige pas, et surtout pas en plein blizzard. Pour continuer avec la métaphore automobile, j’ajouterais que, quand on le feu passe au vert, ça ne nuit pas de toujours brièvement vérifier s’il n’arrive pas dans l’autre direction un véhicule au volant duquel la personne aurait été un peu distraite et n’aurait pas vu le feu rouge. Bien sûr, on est dans notre bon droit; bien sûr, on ne sera pas tenu responsable si l’autre voiture nous fonce dedans, mais cela nous fera une belle jambe si on se ramasse à l’hôpital, drapé·e de notre bon droit. On pourrait aussi penser aux lois entourant l’usage de la cigarette ou du cannabis. Il y peut y avoir une certaine pression des pairs à certains moment de notre vie pour se livrer à certaines activités, mais y céder ou non relève d’une décision personnelle.

Tout cela pour parler de la pandémie actuelle.

Nous sortons à peine d’un confinement relativement strict. Je dis «relativement» parce que, en réalité, on ne peut pas affirmer que les règles aient toujours été coulées dans le béton au plus fort de l’isolement, ni qu’elles aient été appliquées avec un gant de fer. Certaines personnes ont pourtant vu le confinement comme une atteinte à leur libre droit de circuler. Même si nous n’avons pas trop vu au Canada les excès ridicules des protestations pour le droit à contaminer et à être contaminé·e·s, il reste que les mesures de distanciation ont pu être perçues comme quelque chose qui nous était imposé de l’extérieur. Tout le monde ne les a pas respectées de la même manière, d’ailleurs. Certaines personnes ont choisi de voir le confinement comme une discipline volontaire, comme une responsabilité personnelle et sociale. Elles se lavaient les mains bien avant que les supermarchés ne mettent du Purell près de l’entrée, portaient et portent des masques même si nos gouvernements ne les ont jamais rendus obligatoires, limitaient et continuent de limiter leurs déplacements, etc. Il y en a qui continuent de le faire par nécessité personnelle, parce qu’elles ou leurs proches font partie des groupes à risque; d’autres le font simplement par respect pour le reste de la population.

Après trois mois plus stricts, nous vivons depuis quelques semaines une période de déconfinement relatif. Vous lisez les journaux comme je le fais, vous avez vu à quels genres d’excès le déconfinement frénétique a pu mener dans les parcs, les écoles, les plages, les lieux publics de tous types. Ou chez votre deuxième voisin. Pendant ce temps, moi, je suis demeurée claquemurée dans ma maison durant trois mois loin de tous mes proches, je lave mes sacs de riz au savon à vaisselle, je reçois mes ami·e·s dans le jardin et leur demande d’apporter leur propre repas et quand il pleut j’annule les dîners prévus, je porte mon masque dans les épiceries et j’ai passé un bon moment à expliquer à mon vieux père pourquoi il ne pouvait pas me faire l’accolade quand je l’ai enfin revu après le confinement. Depuis la semaine dernière, je pourrais, théoriquement, lui rendre visite à lui et à sa compagne dans leur appartement, mais je ne l’ai pas fait et ne le ferai pas tout de suite parce que je ne crois pas aux possibilités de distanciation dans un trois-pièces climatisé réunissant des gens, moi y compris, qui appliquent en toute bonne foi mais imparfaitement des règles d’hygiène approximatives et variables d’un jour à l’autre et d’une source à l’autre. Pas tant parce que je ne veux pas, moi, me mettre en danger (quoique je vous avouerai que cela joue), mais parce que je ne veux pas mettre en danger mon entourage et son entourage.

J’aimerais que les gens pratiquent moins la pensée magique et plus la pensée scientifique. J’aimerais qu’on aborde la pandémie avec plus de maturité et non en tapant du pied. Entre les excès des groupes extrémistes qui rejettent en bloc les données médicales et les consignes sociales pour aller se frotter les uns aux autres et partager leur haleine, et ce qu’on pourrait voir comme de l’hypercorrection pandémique (tout en gardant à l’esprit que même les hypochondriaques souffrent parfois de véritables maladies), il y a un groupe, tout au centre. Celui-ci a à peu près suivi à la lettre les consignes de confinement, mais obéit présentement au processus de déconfinement un peu trop comme à une consigne aussi, en ne le percevant pas assez comme une simple permission et un peu trop une injonction. « On peut se fréquenter, alors fréquentons-nous le plus souvent possible, le plus près possible, le plus longtemps possible, le plus à l’intérieur des maisons possible. » Non!

La mère de ma compagne est décédée, non de la covid19, mais au tout début du confinement. Nous demeurons persuadé·e·s qu’elle est décédée faute d’assistance médicale adéquate parce que tous les regards étaient tournés vers la covid19, ses enfants et ses petit-enfants n’ont pas pu aller la visiter à l’hôpital, seul un de ses petits-fils a été autorisé à la voir une fois qu’elle a été décédée, il n’y a pas eu encore de célébration en sa mémoire, son urne attend quelque part que cette crise soit terminée et qu’on puisse enfin lui rendre un dernier hommage. À l’inverse, un de mes oncles est décédé la semaine dernière, après la période de confinement strict, et j’ai appris que la famille recevrait les condoléances en personne à un salon funéraire. Les directives actuelles seront appliquées : les personnes présentes devront respecter les deux mètres de distanciation sociale en tout temps; jamais plus de 50 personnes ne seront admises au même moment; le port du masque sera obligatoire; les consignes d’hygiène (lavage des mains) devront être respectées; aucune personne ayant voyagé dans les dernières semaines ou présentant un symptôme de la covid19 ne devra être présente. Est-ce que j’ai besoin de vous expliquer les difficultés que je vois dans l’application de chacune de ces règles? Comment l’idée de réunir 50 personnes, en majorité âgées (mon oncle avait 79 ans) à la fois dans un espace clos ne me rassure pas du tout? Et pourquoi la perspective d’y conduire mon père de 89 ans m’apparaît comme la plus mauvaise idée du monde? Je comprends le besoin des gens de se recueillir, et je me fais moi-même un devoir de participer aux derniers hommages rendus à mes proches et à leurs être chers chaque fois que je le peux. Je comprends mon père de vouloir participer à cette cérémonie en l’honneur de son frère. En temps normal, je n’aurais pas hésité une seule seconde! Toutefois, en ce moment, je suis déchirée. Je sens une pression de céder au déconfinement et je n’aime pas ça. Certes, je ne veux pas courir de risques pour moi-même, mais je ne veux pas non plus mettre mon père âgé en danger. Et encore, s’il s’agissait juste de mon père, je serais prête à respecter son libre-arbitre – en autant que celui-ci s’exerce de façon éclairée. Mais là, il y a tout notre entourage qui pourrait écoper : ma conjointe, sa compagne, et toute leur communauté de la résidence.

J’aimerais que les gouvernements aident mieux leurs populations, leur expliquent mieux, les aident à mieux appliquer les règles qui empêchent la propagation du virus. Je sais que c’est paradoxal, mais j’aimerais qu’on aide les gens à mieux gérer leur propre responsabilité. Et, en attendant, qu’on n’encourage pas les gens à participer à des activités qui non seulement les mettent en danger eux, mais qui risquent de contaminer leurs proches qui respectent à la lettre les consignes de distanciation. J’aimerais disposer de meilleurs outils pour expliquer à mon père que, non, ce n’est peut-être pas une bonne idée de se retrouver dans un espace clos entouré de 49 autres personnes âgées masquées.

Une fois atteint l’âge de la maturité, il est certes permis de boire, mais ce n’est pas une raison pour boire au-delà de son point de saturation. Nous vivons une période de déconfinement graduel, mais relâcher la pression ne devrait pas équivaloir à céder à la pression de voir le plus de monde possible dans la plus grande promiscuité possible. Jusqu’à s’en rendre malade.