Les pages littéraires de Sylvie Bérard

Science-fiction, littérature, écriture

Mois : juin, 2020

Six mois plus tard

Ils étaient tous les deux dans l’entrée. Si je me rappelle bien, c’est lui qui est venu vers moi en premier. Ils étaient si semblables! Lui et son frère avaient été abandonnés dans l’immeuble où j’habitais alors, rue Harouys, Nantes. Je l’ai pris dans mes bras et l’autre a suivi dans l’ascenseur, sur ses grandes pattes de chaton de deux mois et demi.

Treize années plus tard, le frère, qui portait bien son nom de Boy, s’est endormi pour toujours un soir de décembre. Six mois plus tard, celui qui répondait à merveille au nom de Tom nous a quittées hier.

Je pourrais vous parler de leur gémellité, de leur harmonie, de leur unisson. Je l’ai fait dans une entrée de mon blogue lorsque Boy est décédé. Mais j’aimerais vous parler de Tom, le beau Tommy, mon Tominet, mon Choupinot, mon garçon, mon bébé.

C’était le chat le plus affectueux du monde. On parle souvent de l’indépendance des chats, de leur réserve, de leur quant-à-soi. Tom n’etait pas de cette trempe. Il aimait les humains, s’y frottait, y grimpait , s’y collait, leur faisait des accolades, leur quémandait… exigeait d’eux des caresses. Je me suis parfois dit que si je flattais Tom sans arrêt le plus longtemps que je le pourrais, il se fatiguerait de se faire caresser. Je me suis toujours lassée ou endormie la première. Quand j’interrompais mon geste, il se frottait contre moi, me mettait une patte dans la figure, me regardait avec ses beaux grands yeux bleus, l’air de dire: «Quoi? C’est déjà fini?»

Tom avait une façon bien à lui d’aborder les humains. En les abordant, justement, comme le pirate un navire. Avec la ferme conviction que le territoire lui appartenait. En fait, je pense qu’il ne savait pas trop où son corps s’arrêtait et où commençait celui des autres. Il était pareil avec son frère, le lavant autant qu’il se lavait, réclamant aussi des coups de langue. Petit, il marchait partout sur moi et s’allongeait dans ma nuque comme un col de fourrure blanche. Devenu trop grand pour que je le laisse faire, il grimpait sur la table où j’étais accoudée ou sur le fauteuil où j’étais assise, escaladait mon torse et partait à la conquête de mon cou pour s’y blottir. Il pressait très fort sa tête contre mes clavicules comme s’il voulait entrer sous ma peau.

Il vous sautait dessus sans crier gare, sous l’impulsion du moment. Vous pouviez être en train de manger, et alors il atterrissait dans le beurre, ou vous étiez penchée en train d’attacher vos chaussures, et alors vous vous retrouviez avec un chat sur votre dos qui refusait de lâcher prise. Une de ses positions préférées d’amour farouche était sur ma poitrine, son corps pressé sur moi, ses deux pattes de devant de chaque côté de mon cou.

Il n’avait aucune retenue, aucune prudence, aucun discernement. Alors que son frère était plus circonspect, Tom, lui, fonçait et s’interrogeait après. Pour cette raison, je le gardais à l’intérieur car je craignais que les limites de ses instincts de survie ne le plongent dans des situations fatales. De fait, par un jour de grand froid où il s’était échappé, j’ai dû aller le récupérer dans la ruelle car il ne savait plus comment franchir la clôture par-dessus laquelle il venait de sauter. Par un lendemain de tempête où le banc de neige s’élevait jusqu’en haut des cinq marches de perron, il m’a filé entre les jambes et son premier réflexe a été de sauter derriere les marches, sous le perron, pour se retrouver enseveli sous la neige. Il a fallu pelleter pour le récupérer. Et je ne compte pas les innombrables fois où il s’est engouffré dans la sécheuse, si possible sur du linge frais lavé.

Il n’était pas soigneux. On voit des chats contourner des objets sur les tables, les tablettes, ou alors les projeter en bas des meubles intentionnellement, systématiquement. Tom ne faisait ni l’un ni l’autre. Il arrivait, simplement, sans se soucier d’un clavier, d’une assiette, d’un article fragile. Ces objets ne semblaient pour lui n’avoir aucune existence, ne lui imposer aucune résistance; seule prévalait son intention du moment – habituellement obtenir votre attention. Il savait vaguement qu’il ne devait pas sauter sur la table, alors il le faisait très vite, avant que nous ayons pu l’arrêter. Une fois, il a essayé de se cacher sous un couteau à beurre pour se faire invisible. Quand nous essayions de le faire redescendre, il s’agrippait. L’asperger d’eau ne servait à rien: il plissait simplement les yeux en attendant que l’ondée passe.

Pour cette raison, lui et son frère étaient tenus à l’écart de notre lit. Pas parce qu’ils n’étaient pas gentils, mais parce que leur patauderie menaçait nos nuits. Sinon, ils nous marchaient dessus ou au-dessus, sur la tête de lit dont ils menaçaient de tomber à tout moment pour venir nous défigurer. Le lit lui-même devenait une zone à conquérir et, à quelques moments stratégiques de la nuit, à se disputer entre frères. Tom n’aimait pas cette limite de huit heures entre lui et nous, et nous communiquait parfois son mécontentement au coin de la porte.

Tout a changé il y a six mois au décès de son frère. Par inadvertance ou par une sorte de réflexe inconscient, nous l’avons laissé passer la première nuit avec nous. Et toutes les nuits après. Le Tom nocturne était transfiguré. N’ayant plus à disputer le territoire de la couette avec son frère, il n’était plus qu’affection. Certes, il avançait sur la couette comme dans les herbes hautes et nous marchait un peu dessus de tout son poids réparti lourdement dans ses quatre pattes, mais c’était pour venir se nicher dans notre cou ou entre nous deux. Il passait la majeure partie de la nuit couché sagement au pied du lit ou, lorsqu’il a été bien certain que dormir avec nous n’était plus une situation exceptionnelle, sur un autre meuble de la chambre, voire dan une autre pièce! Du moins jusqu’à un signal d’éveil de notre part.

Quand la pandémie s’est déclenchée, j’étais avec lui seule chez moi. Pendant trois mois, il a été mon unique compagnon. Je pense que ce furent les trois mois de plus grand bonheur pour lui. Il m’avait à lui tous les jours, à chaque heure du jour. Je le brossais, je le caressais, je lui donnais des gâteries. Parfois, je le chassais de mon clavier, mais il n’a jamais été rancunier. Quand il s’est mis à bouder un peu ses croquettes de confinement, une marque générique, différentes de la nourriture que je lui achète habituellement chez sa vétérinaire, j’ai commandé de la nourriture humide dont il s’est régalé.

Dire qu’il était comme un petit roi chez moi décrirait bien le tableau mais ne résumerait qu’une partie de l’histoire. Car j’étais bien aussi avec mon complice de quarantaine. Le matin, j’accueillais avec reconnaissance les moments où il venait me rejoindre dans le lit et nous y avions de très longues séances de caresses et de ronronnement. J’étais contente qu’il soit couché contre mon bras quand je travaillais à l’ordinateur même si sa tête sur ma main gênait un peu le mouvement de ma souris. La présence de Tom a contribué à mon équilibre durant mon isolement.

Quand j’ai enfin décidé d’aller à Montréal, il y a deux semaines, c’est un Tom étonné de ce changement de registre que j’ai mis dans sa boîte. Je ne me doutais pas que c’était la dernière fois qu’il faisait la route Peterborough-Montréal, lui qui m’avait accompagnée dans tant de déplacements, à commencer par la fois où lui et son frère m’avaient suivie sur mon vol de retour France-Canada.

Durant les premiers jours, nous avons eu avec nous le même Tom joyeux, affectueux, communicatif, gourmand que nous avions toujours connu. Et puis…

Tom est mort hier au terme d’une courte maladie. Nous sommes restées auprès de lui jusqu’à la fin. Il était affaibli, mais je pense qu’il s’est senti aimé, entouré, important jusqu’au bout. Il aurait eu 14 ans en août. Je me réjouis qu’il n’ait pas été malade longtemps, mais j’aurais aimé qu’il reste encore plusieurs années dans ma vie. J’ai beaucoup pleuré ces derniers jours, en le sachant malade, j’ai pleuré hier quand il est décédé, je pleure encore en ce moment en pensant à lui.

Cependant, je suis très reconnaissante d’avoir connu ce petit être franc, loyal, confiant, entier. Ce petit chat qui a bouclé la boucle en entrant dans ma vie à un moment où j’étais à l’étranger, loin des personnes que j’aimais, en restant pour me consoler de la mort de son frère autant que je le consolais, moi, et en me disant au revoir après avoir été une présence indéfectible à mes côtés durant tout mon confinement solitaire.

Je t’aime beaucoup, Tom, le beau Tommy, mon Tominet, mon Choupinot, mon garçon, mon bébé.

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#dixcourtsjours #fringebuzz Jour 9: La course en drag

Lâche-toi lousse

Elle était coincée, guindée, droite comme un manche à balai. Quand elle marchait, c’était les fesses serrés en rentrant le ventre. Toute sa vie n’était qu’horaire et discipline. Elle déjeunait à heure fixe, ne faisait jamais ses exercices sans avoir réglé la minuterie, comptait ses pas, ses calories, ses heures. Elle était convaincue que chaque chose avait sa place, chaque activité, son temps. Sa maison était un catalogue de décoration contemporaine. Quand elle faisait ses kegel, elle relâchait la tension juste à temps parce que l’heure n’était pas au plaisir. Quand elle faisait l’amour, le jeudi à 21h, elle comptait les minutes, les secondes afin de jouir juste au bon moment. Une fois ou deux par année, elle pétait par inadvertance et s’en voulait durant plusieurs jours.

#10courtsjours

#fringebuzz

Jour 8: Lâche-toi lousse

Traduction infidèle

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La treizième heure

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